dimanche 18 octobre 2015

Un lieu, témoin de guerre

Rachid Kechad


Un lieu, témoin de guerre


A l’occasion du 61ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération Nationale qui sera célébrée le premier Novembre prochain, je tenterai dans ce récit historique, sans grandes phrases ni longs développements, de raconter succinctement, la réalité d’un lieu ayant marqué l’histoire de notre village pendant la période coloniale. Surement, beaucoup parmi nous, notamment la jeune génération ignorent ou méconnaissent le passé de cet endroit. Ce magnifique lieu perché sur un sommet atteignant une altitude de plus de 650 mètres, situé au point le plus éloigné du village D’Ait Bouyahia, en partance du chef lieu de la commune, nommé « El Djema Tadderth » où les premiers ancêtres l’ont élu comme premier point pour s’y installer. Un endroit, selon de très nombreux témoignages concordants, était un lieu-témoin des brutalités, commises par la force d’occupation, à partir du troisième trimestre de l’année 1958 jusqu’à 1962, à tout citoyen soupçonné de collaborer avec les moudjahidine.
Dans le but d’isoler les maquisards de la population et d’asseoir la domination et le contrôle permanent du village, le capitaine Oudinot, chef de la SAS (Section Administrative Spéciale) de Béni-Douala, avait mis en exécution à la lettre, la diabolique stratégie du général De Gaulle, visant à mettre en quarantaine les maquis. Pour mettre en application cette sale besogne contre une population désarmée, le dit capitaine, avait pris possession carrément des lieux, en installant à El Djemaa Taderth, une troupe de militaire composée de presque d’une trentaine de soldats, dirigé par le lieutenant Rodrer, assisté par le sergent à la canne (Sarjane vouthakazth). 
A cette date, l’ennemi faisait subir des représailles à la population sans défense, en s’en prenant à tout le monde y compris aux enfants. À juste titre, qui de ces enfants et adolescents de cette époque qui n’avaient pas été maltraités ou giflés avec ou sans raison par le cruel engagé, le sergent à la canne (Sarjane vouthakazth). Les coups de bâton du sinistre sergent, étaient des pratiques courantes et personne ne pouvait y échapper. Tous les gens interrogés sont catégoriques et unanimes à témoigner être victimes de ses brutalités. 

Le seul passage menant à El Djemaa Taderth, était totalement barré à tous les résidents du quartier, par un portail métallique d’une hauteur de trois mètres, dressé derrière l’habitation appartenant à la famille KemKem, Pour que personne ne puisse y pénétrer. Pour s’y rendre à leur domicile ou, à leur champ, les résidents et les propriétaires des terres devaient prendre la voie dite »Agdhi Bouchene ». Cette garnison est composée principalement Timâmart (Ecole coranique), composée de trois pièces et d’une courette, exploitée comme dortoir pour les soldats de l’armée Française. 
La Petite salle de droite (Taajmath thamachtouhth), utilisée comme bâche d’eau, qui est approvisionnée continuellement en eau potable par les villageois à tour de rôle. Chacun doit respecter impérativement son tour, suivant une liste déjà préétablie. Les récalcitrants sont immédiatement réprimandés. Aucune tolérance n’était admise. Combien de fois, des enfants de retour de la fontaine avec la charge d’eau sur le dos d’âne, était conduit de force pour vider leur jerricans dans la citerne à eau. 
La Grande salle de gauche, elle servait à la fois, de cuisine, de réfectoire et de bar. Les taches ménagères afférentes à la vie quotidienne étaient accomplies sous la contrainte, par la population locale.
Une guérite surplombant les pourtours du quartier, était installée au niveau du domicile Nachrif Nali Oumouh Hessas, permettant aux français d’épier méticuleusement tous les mouvements des villageois et de contrôler en permanence les alentours. 
Le premier étage de l’épicerie de Moh Said Himeur était employé par le lieutenant Rodrer en guise de logement, quant au rez-de-chaussée, il servait aux interrogatoires musclés des personnes arrêtées ou suspectées. Certains prisonniers qui ont résisté aux tortures, sont achevés sans le respect des procédures légales, tel que le chahid Tayeb Nath Lahcene du village voisin d’Ait Khelfoune qui a été exhumé après avoir été enterré au niveau du cimetière de Lakhmiss. Tout suspect était soumis systématiquement à de pénibles supplices par les soldats de l’armée coloniale et leurs supplétifs. A titre illustratif, c’est dans ce lieu précisément que, Ahmed Akouchene Kaci et Moh Tahar Iouechikhen Hamdad et tant d’autres, avaient subi les atrocités et les sévices des soldats de l’armée française, sans omettre la Moudjahida, Elias Fatima, épouse Elias Vava Rezki qui, avait enduré de mauvais traitements et de pires punitions, avant quelle soit transférée dans un autre camp de torture, situé au niveau du village d’Ait Idir, loin d’à peu près de 2.5 Km de la SAS, située au chef lieu de la commune des Ath –Douala. 

Les douches et les installations sanitaires étaient implantées dans la propriété de chikh Ramdhane Kerbel, mitoyenne de celle des KemKem. Les eaux usées des douches et des sanitaires sont déversées dans une fosse septique creusée dans le même terrain. 
Un couvre feu permanent à partir de 15 heures est instauré, hommes, femmes et enfants inclus ne doivent sortir du village, des quartiers libres de quelques heures étaient accordés à la population locale pour lui permettre de s’approvisionner. En dehors de ces quelques heures de répit, tout contrevenant met sa vie en danger. Le moindre déplacement, sous n’importe quel prétexte, était subordonné à la délivrance d’un « laissez-passer. » Cette permission momentanée de circuler est souvent mise à profit par les mousseblines et moussablates pour informer et approvisionner les maquisards.
Chaque coin de notre village a eu son lot de scènes de monstruosité et d’abomination dont se sont distingués les paras et autres mercenaires de l’armée coloniale chargés de mater la population et de faire subir les pires exactions contre les familles des maquisards.
Lorsque meurt un témoin oculaire, c'est toute une histoire qui se dissipe. Avec la disparition de nos vieilles et nos vieux, la preuve vivante de notre histoire risque de cesser d’exister. Comment faire : De nos jours, beaucoup estiment que la transmission orale de notre histoire doit faire place à la tradition écrite pour la sauvegarder, la pérenniser et la rendre accessible au grand public. 
Je suppose, qu’une une plaque commémorative ou autre support, érigé au même endroit, peut faire connaitre ce lieu à tout le monde et le faire sortir à jamais de son isolement. Cette conception pourrait être élargie à d’autres sites, pour rendre d’abord les honneurs aux guerriers morts pendant la guerre d’indépendance et aussi, de recenser pour immortaliser, tous les endroits mémorables où ont été tombés nos valeureux martyrs, pour que nous puissions vivre dans la dignité et la liberté. 
Gloire à nos chouhada! Wa- Athnirham Rebbi. Merci et Kimath Dhi Thalwith. 
NB : Merci pour toutes idées ou contributions qui peuvent enrichir et/ou corriger le contenu du texte. Merci.

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